La Loi type des Nations unies sur le commerce électronique :
Quelques questions essentielles
[Rencontre international de juristes d'expression française
Montpellier 1 juillet 2000]
John D. Gregory
Ministère du procureur général de l'Ontario (1)
La Commission des Nations unies sur le droit commercial international (CNUDCI) a adopté en 1996
une Loi type pour donner aux pays membres de l'ONU un outil législatif pour éliminer des barrières
légales au commerce électronique. Le présent document esquisse une réponse à quelques questions
essentielles présentées par la Loi type, sur lesquelles la discussion se poursuit sur les plans national et international.
Quels sont les problèmes à résoudre?
Les communications électroniques se multiplient depuis 1969, la première année où les ordinateurs se
sont «parlé ». Depuis les années 70 les entreprises commerciales utilisent l'échange de données
informatisées (EDI) pour rendre plus rapides et économes leur communications. Le droit commercial
n'a pas gardé le pas. Le droit, lui, présume la présence du papier pour fonder ou pour prouver le
relations juridiques. La disparition du support papier des relations commerciales pose donc des
problèmes qui vont en s'aggravant au fil du temps, et surtout avec l'omniprésence d'Internet. (2)
Tous les systèmes juridiques demandent souvent que les relations juridiques s'expriment par écrit,
souvent par écrit signé. Est-ce qu'un message électronique est écrit? Est-ce qu'une indication
électronique de la personne qui envoie le message constitue une signature? Comment peut-on
démontrer au tribunal le contenu de ces messages dématérialisés? Les règles de la preuve
permettent-elles l'admission directe de la version électronique, ou d'une version imprimée?
Et le contrat : quelle est la volonté commune lors de l'échange automatisé de messages
préprogrammés, sans intervention humaine au moment de la transaction? Quand est-ce que le contrat
éventuel est formé et où est-il formé?
Voilà quelques sources d'incertitude pour les commerçants et pour leurs conseillers juridiques. La
pression économique de communiquer par voie électronique est déjà intense pour les fournisseurs de
grosses entreprises à l'ère de l'EDI. Elle est devenue irresistible à l'heure de l'Internet. Pourtant
l'incertitude entrave l'investissement, augmente les coûts du commerce (et partant les coûts au
consommateur), et … rend nerveux les juristes. Une solution s'impose.
Pourquoi une initiative internationale?
Les communications électroniques se sont manifestées dans le transport des biens, surtout maritime, à
cause de la distance entre parties. Le transport a souvent un caractère international, surtout en Europe,
où les frontières nationales sont nombreuses. Des groupes européens ont suggéré à la CNUDCI au
début des années 80 qu'elle se penche sur des questions juridiques posées par ces communications.
Un premier rapport est publié par la CNUDCI en 1985. (3) Ce document recommande aux pays
membres de l'ONU de modifier leurs lois pour réduire les barrières juridiques à l'EDI (on ne parlait
pas à l'époque de commerce électronique, une expression dont l'usage commun date des années 90).
Peu de pays ont suivi cette recommandation. La réponse hésitante à ces questions, et la différence
entre les réponses premières de différents pays, causaient de plus en plus de problèmes avec
l'expansion des communications électroniques. La capacité d'entreprises de résoudre l'incertitude par
contrat était limitée à la fois par le caractère obligatoire des règles de droit concernées et la difficulté
de former des contrats avec toutes les parties touchées. Il faut cependant mentionner l'usage assez
répandu d'ententes entre partenaires commerciaux, qui disposaient des questions de choix de systèmes
informatique et de logiciel, de confirmation de messages, d'incontestabilité de la preuve, etc. Le
contenu typique de ces ententes a beaucoup influencé les dispositions ultérieures de la Loi type.
L'emploi de plus en plus commun de moyens de communication électronique rendait plus urgent une
résolution juridique. La difficulté des questions de compétence territoriale - quel serait le droit
applicable dans un monde virtuel sans frontières? - ont fait sentir le besoin d'harmoniser les règles.
Moins les règles sont différentes, moins on s'occupe du choix du droit.
Par conséquent la CNUDCI était prête en 1990 d'essayer de fournir un guide aux pays membres pour
la résolution de ces problèmes communes. La forme de ce guide - une Loi type - n'était fixée qu'en
1995. (4)
Qui devrait trouver une solution?
Sur le plan international, seule la CNUDCI avait une compétence mondiale pour le droit commercial.
L'Institut pour l'unification du droit privé (Unidroit) favorisait les questions plus techniques. La
Conférence de la Haye sur le droit international privé se penchait sur la coopération judiciaire et le
droit de la personne (famille, succession, trusts). Les organismes de droit spécialisé, tel l'Organisation
mondiale pour la propriété intellectuelle ou l'Organisation mondiale sur le commerce, ne faisaient pas
attention à l'époque aux questions des technologies de l'information. En 1990 la CNUDCI n'avait pas
de concurrents dans le domaine. (La situation a changé depuis cette date; le commerce électronique
est sur tous les ordres de jour en 2000.)
La CNUDCI date de 1966, quand l'ONU l'a créée avec 36 membres qui représentent de différentes
régions, de différents systèmes juridiques et de différents stages de développement économique. Le
Canada était membre aux années 80 mais cède la place tous les six ans à l'Australie. Les membres
permanents du Conseil de sécurité de l'ONU ont aussi permanence à la CNUDCI.
Comment la CNUDCI a-t-elle créé la Loi type?
L'organisme opère en groupes de travail, auquel peuvent participer tous les pays membres de l'ONU,
les corps de l'ONU comme CNUCD et les organismes non-gouvernementaux, comme la Chambre de
commerce internationale et la Banque du développement africain. Celui auquel était confié le
commerce électronique est le groupe de travail sur les paiements internationaux (rebaptisé par la suite
le groupe de travail sur le commerce électronique). Le groupe s'est réuni deux fois par an, soit à
Vienne soit à New-York, pour se pencher sur un document du Secrétariat de la CNUDCI. Chaque
année le résultat de ces travaux est soumis à la Commission elle-même, qui autorise la continuation
des travaux, sujette aux directions éventuelles.
Pour la Loi type, on faisait face à deux défis autres que juridiques. D'abord il fallait que les délégués
comprennent la technologie de base du commerce électronique. Quelles sont ses capacités, sa
sécurité, sa fiabilité? Ensuite il fallait rester au courant de l'évolution de la technologie, qui n'attendait
pas que le groupe la comprît pour évoluer, ainsi que le marché commercial qui en faisait usage. Le
format typique au début des travaux était l'EDI. A la fin du projet on parlait plutôt de systèmes
ouverts et d'Internet. La différence est importante. Que la Loi type fonctionne bien à l'heure d'Internet
marque la haute qualité des politiques qui la sous-tendent.
Quelles sont les qualités principales de la Loi type?
Application
La Loi type propose aux pays membres de l'ONU une modification de leurs lois qui touchent au droit
privé commercial. Elle ne règle pas le droit d'auteur, la diffamation ou d'autres domaines délictuels, ni
le contenu de messages électroniques. La question de juridiction n'est pas absente de la Loi type, mais
les communications dans un monde sans frontières, entre parties qui ne se connaissent pas, n'étaient
pas de son mandat.
D'autre part le mot « commercial » a un sens large, comme l'indique un note à l'article premier de la
Loi type. La nature des parties n'entre pas en question; l'état peut participer au commerce tout comme
les parties privées. Les transactions du consommateur sont aussi touchées par la Loi type, mais elle ne
déroge pas à toute règle de droit destinée à la protection du consommateur. Comme cela la validité
juridique des achats virtuels du consommateur n'est pas contestable à cause de leur forme
électronique. Ce dont le consommateur a besoin en plus de la Loi type est une question toujour sujette
aux débats politiques, au Canada et ailleurs.
La CNUDCI recommande que les pays membres ne limitent pas l'application de la Loi type au
domaine international si leur régime domestique ne faisait pas de place aux principes de la Loi type.
La vocation internationale de la CNUDCI l'empêche de prôner directement la mise en oeuvre d'un de
ses textes sur le plan domestique. Étant donné l'avantage que les lois soient semblables dans tous les
pays, pour éviter des problèmes de compétence, cette recommandation semble tout à fait justifiée.
2. Les principes de la Loi type
Le principe de base de la Loi type est la neutralité de support, c'est à dire que le droit ne doit pas faire
de discrimination entre les documents sur papier et les documents informatisés. L'article 5 de la Loi
type interdit qu'un pays adoptant invalide de l'information pour l'unique raison qu'elle est sur support
électronique. Les parties à une transaction ont beaucoup de choix de systèmes pour faire leurs
affaires, mais la façon prévue par la Loi type pour satisfaire aux exigences légales sur la forme de
l'information est obligatoire.
Pour satisfaire aux exigences légales de forme, la Loi type prévoit un système « d'équivalence
fonctionnelle ». Cela veut dire que l'on cherche la politique de l'exigence qu'un texte soit sur support
papier, pour satisfaire à cette politique par moyen électronique. Comme cela la Loi type ne redéfinit
pas la terminologie pour comprendre les documents électroniques. De temps en temps on propose
d'étendre la définition de document écrit, ou de signature, ou de document original, pour inclure une
version électronique du document. Le principe de l'équivalence fonctionnelle ne passe pas par là. La
redéfinition risque un effet trop large. Il n'est pas tous les documents électroniques qui satisfont à la
politique de l'exigence de support papier. Parfois l'électronique ne devrait pas passer. La Loi type
cherche à exprimer les bons moments.
Les normes de la Loi type sont pourtant « minimalistes ». Elles sont neutres du point de vue de la
technologie. Elles n'obligent pas les parties à une transaction de choisir une méthode précise pour
transiger sous forme électronique. Le minimalisme répond à la vitesse de l'évolution de la
technologie; plus on prescrit les moyens en détail, plus on risque une loi désuète avant son passage. Il
fait état aussi du fait que le droit actuel offre des réponses à maintes questions posées par le commerce
électronique. Nous ne sommes pas dans un monde juridique tout à fait nouveau. Nous avons besoin
de modifier nos lois mais pas de les refondre de fond en comble.
La loi type traite des contrats. Malgré le principle fondamental de la non-discrimination, elle rajoute
qu'un contrat peut de former ou s'exécuter par moyen électronique. Si l'on se demandait si l'action de
cliquer sur un icône sur un écran d'ordinateur peut constituer une acceptation d'une offre, la Loi type
répond oui.
Elle dispose aussi de l'attribution de messages électroniques, dans les cas faciles (le message est l'acte
de la partie qui l'a envoyé) et les cas plus contestables (une signature qui est apposée par quelqu'un qui
accède au dispositif de signature par sa relation au détenteur légitime du dispositif est réputé la
signature du détenteur).
En plus la Loi type offre des règles pour savoir quand et où un message électronique est expédié ou
reçu, et l'effet juridique d'un accusé de reception. Finalement elle décrit une méthode pour s'occuper
sur support électronique du transport de biens, où il est nécessaire en certains cas de créer un
document électronique unique. Il n'est pas clair que la création d'un tel document soit possible à cette
étape de l'évolution des technologies.
Les solutions de la Loi type
Nous décrivons brièvement ici les règles d'équivalence fonctionnelle de la Loi type.
Le droit cherche un document écrit pour assurer la mémoire, pour être certain que les parties et les
non-parties pourront savoir demain ce que les parties ont fait aujourd'hui. Pour satisfaire à cette
politique, la Loi type prévoit que lorsque la loi exige qu'une information soit sous forme écrite, un
message électronique satisfait à cette exigence si l'information qu'il contient est accessible pour être
consultée ultérieurement. Dans tous les cas, la Loi type parle « d'exigence » mais veut aussi
comprendre les cas où la loi prévoit simplement certaines conséquences si l'information n'est pas sous
forme écrite.
Lorsque la loi exige une signature d'une personne, la Loi type permet à un message électronique de
satisfaire à l'exigence si une méthode est utilisée pour identier la personne et pour indiquer qu'elle
approuve l'information contenue dans ce message. Il faut que la méthode soit suffisamment fiable, au
regard de l'objet pour lequel le message a été créé ou communiqué, compte tenu des circonstances, y
compris de tout accord en la matière.
Lorsque la loi exige qu'une information soit présentée ou conservée sous sa forme originale, un
message électronique satisfait à l'exigence s'il existe une garantie fiable quant à l'intégrité de
l'information à compter du moment où elle a été créée pour la première fois sous sa forme définitive
électronique ou autre, et si cette information peut être montrée à la personne à laquelle elle doit être
montrée. Les normes de la fiabilité varient selon l'usage prévue pour l'information.
La Loi type traite aussi de la preuve, d'une façon simple. Elle prévoit qu'aucune règle d'administration
de la preuve ne peut être invoquée contre l'admissibilité d'un document électronique au motif qu'il est
sous forme électronique ou au motif que le document n'est pas sous sa forme originale. Elle traite
aussi de la force probante d'un document électronique, selon la fiabilité de certains élements de
l'histoire du document et de la technologie qui l'a produit.
Les documents électroniques peuvent être conservés sous forme électronique aussi, à condition qu'ils
représentent avec précision l'information du document. Pour les messages, la Loi type exige la
conservation des informations éventuelles qui permettent de déterminer leur origine et leur destination,
ainsi que la date et l'heure de leur envoi ou réception..
Comment devrait-on incorporer la Loi type dans sa loi?
La CNUDCI a pu adopter une loi minimaliste en partie en mettant de côté beaucoup de questions de
détail sur sa mise en oeuvre et sur la façon de laquelle un pays devrait l'incorporer dans son régime
juridique. Elle a publié avec la Loi type un Guide à son incorporation, qui explique les concepts et les
débats du groupe de travail, qui fait référence aux documents de travail du groupe, et qui recommande
des moyens législatifs pertinents. Le statut juridique du Guide dans les pays membres de l'ONU est
moins certain. Il ne fait pas partie des travaux préparatoires de la Loi type, bien qu'il fournisse une
explication et un index de ces travaux. Les tribunaux n'en feront peut-être pas usage, mais les
conseillers juridiques y trouveront un outil indispensable à la bonne compréhension de la Loi type.
Une loi type est incorporée dans le cadre juridique d'un pays selon ses propres besoins et selon sa
structure légale. Les traditions et les politiques économiques et sociales y jouent leur rôle. On le
constate en regardant les lois (ou projets de loi) d'application des pays qui ont déjà commencé : le
Singapour, l'Australie, l'Irlande, l'Inde, la Colombie, et l'Argentine, entre autres. (5) Ici il sera question
des lois américaines, européenne, française, et canadiennes.
Les États-unis
Aux États-unis la Loi type est mise en oeuvre surtout par l'adoption de la Uniform Electronic
Transactions Act (UETA), conçue par la National Conference of Commissioners on Uniform State
Laws. (6) L'UETA est adoptée en 18 états et devant la législature dans une dizaine d'autres. (7) Le
gouvernement fédéral vient d'adopter lui aussi une loi sur la signature électronique inspirée par
l'UETA. La loi fédérale vise à harmoniser la loi à l'échelle nationale mais reconnaît l'autorité de la loi
uniforme. La loi fédérale s'appliquera aux relations commerciales interétatiques (dont on a une
conception très large) aux États-unis à moins que l'état concerné n'ait adopté l'UETA.
L'UETA parle de « record électronique », expression dont l'élément essentiel est que l'on peut
récupérer les information qu'il contient en forme perceptible (8). La règle rejoint donc le principe de la
Loi type. Dans le domaine de documents originaux et de conservation de documents, ainsi que dans
ses règles sur la formation de contrats, la loi uniforme américaine suit également la Loi type. Son
traitement de la signature électronique départ de ce chemin. Toute signature électronique est réputée
satisfaire à une exigence légale qu'un document soit signée. L'UETA ne parle ni d'approbation du
message ni de sa fiabilité. Les Américains n'ignorent pas la question. Leur loi uniforme définit la
signature électronique (ce que la Loi type de la CNUDCI ne fait pas) comme son, symbole ou
processus qu'une personne crée ou adopte pour signer un record et qui est annexé au record. Si on est
capable de prouver tous les éléments de la définition, dit-on, il n'est plus besoin de démontrer aussi la
fiabilité comme telle.
Les Américains ont aussi assujetti toute la loi uniforme à la condition du consentiment de la personne
qui reçoit un record électronique. Sans cet accord la loi ne s'applique pas à la transaction. Le Guide
de l'incorporation de la Loi type prétend que la Loi type ne contraint personne à l'usage de documents
sous forme électronique, mais le texte de la Loi type est muet sur ce point.
L'Europe
En Europe on suit la Loi type de moins près mais ses principes ont leur influence. L'Union
européenne a adopté en janvier 2000 une directive sur la signature électronique (9) qui interdit la
discrimination contre la signature sous forme électronique. La directive va plus loin que la Loi type
en garantissant une équivalence à la signature manuelle uniquement à une « signature électronique
avancée ». Les indices d'une telle signature sont notés dans la directive et sont qualifiés dans ses
annexes. La directive exige un système de certification de l'identité des détenteurs de dispositifs de
signature électronique et une technologie fiable. D'autres aspects de la Loi type, comme les règles
d'équivalence fontionnelle pour les documents ou les originaux, ne figurent pas dans cette directive.
L'Union européenne ne cesse pourtant pas d'élaborer des directives, dont une sur le commerce
électronique. Le contrat sous forme électronique y est protégé.
La France
En France l'on procède par étapes. La première étape est la Loi du 13 mars 2000 sur le droit de la
preuve et la signature électronique. (10) Elle étend la notion de preuve littérale pour comprendre
n'importe quels signes dotés d'une signification intelligible. Elle prévoit que l'écrit sous forme
électronique est admis en preuve au même titre que l'écrit sur support papier, sous réserve que puisse
être dûment identifiée la personne don't il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions à
en garantir l'intégrité. On voit l'influence de la Loi type mais on remarque aussi que le texte français
va plus loin à la recherche de la fiabilité. On ajoute un article (1316-3) : « L'écrit sur support
électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier », une fois qu'il est admis.
Un nouvel article 1316-4 fait écho de la Loi type sur la signature : « La signature nécessaire à la
perfection d'un acte juridique identifie celui qui l'appose. Elle manifeste le consentement des parties
aux obligations qui découlent de cet acte. » L'article ajoute un détail pour plus de conformité à la
structure de documents aux yeux du droit civil : « Quand (la signature électronique) est apposée par
un officier public, elle confère l'authenticité à l'acte. » La signature électronique doit aussi être fiable :
« elle consiste en l'usage d'un procédé fiable d'identification garantissant son lien avec l'acte auquel
elle s'attache. La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu'à preuve contraire, lorsque la signature
électronique est créée, l'identité du signataire assurée et l'integrité de l'acte garantie, dans des
conditions fixées par décret en Conseil d'État. » Aucun décret n'est publié jusqu'à date.
On prévoit également en France une loi sur la société de l'information au début de 2001. Cette loi
devrait encadrer de façon plus compréhensive le droit du commerce électronique.
On pourrait faire remarquer en passant que la formule de la Loi type pour les documents électroniques
risque peut-être de causer des problèmes pour un système de droit civil qui reconnaît plusieurs types
de document. La Loi type ne distingue pas les documents privés des documents publics, et ne fait pas
état de l'exécution solonnelle d'une classe de document. Elle ne traite que de l'exigence d'écrit « pur ».
Les légistes français et autres civilistes vont sans doute réfléchir sur l'opportunité d'incorporer la
norme de la Loi type pour tous les documents reconnus par la loi. D'autre part il se peut que le
support du document ne change pas la nature du document; ce sont peut-être d'autres aspects du
document que son support qui lui donnent son caractère juridique.
Le Canada
Au Canada la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada (CHLC) a adopté en 1999 une Loi
uniforme sur le commerce électronique. (11) Elle suit la philosophie minimaliste de la Loi type mais y
ajoute quelques dispositions et en retire quelques autres. Aux yeux des rédacteurs de la Loi uniforme
canadienne, les normes requises pour la validité juridique ne sont pas forcément celles de la prudence.
Les parties à une transaction doivent apprécier les risques de l'usage de nouvelles technologies de
l'information et se comporter en conséquence. Celles qui se connaissent bien, ou qui ont d'autres
indications de la fiabilité d'un message ou d'une signature, ou qui ne mettent en jeu que peu de valeur,
se contenteront d'une technologie moins fiable que celles qui ne sont pas dans la même situation. Bref
la technologie n'est qu'un élément de la fiabilité et la Loi uniforme n'insiste pas que la technologie
porte tout le poids du risque. En général les parties peuvent décider de ce qu'elles traitent de fiable.
La Loi uniforme n'oblige à personne d'accepter or de se servir de documents électroniques. Comme la
Loi uniforme américaine, mais contrairement à la Loi type, la version canadienne exprime cette
politique dans le texte. Comme cela ceux qui veulent s'engager dans le monde virtuel sont capables de
le faire, à leur propre risque. Ceux qui sont mal à l'aise avec les risques ont l'option de ne pas
participer. Le pouvoir de dire oui ou non donne le pouvoir de poser des conditions : « oui si votre
document électronique est d'une telle qualité ou si votre signature électronique est certifiée par la
banque X. »
Malgré son titre, la Loi uniforme canadienne sur le commerce électronique n'est pas limitée au droit
commercial. Elle s'applique à toute règle de droit de l'autorité qui l'adopte, que ce soit une province ou
une territoire. Le gouvernement fédéral ayant adopté une autre loi au printemps 2000, on ne s'attend
pas à ce qu'il adopte aussi la Loi uniforme. (12) La loi uniforme précise des exceptions, par exemple les
testaments, les procurations personnelles, les titres négociables, et les transferts d'immobilier. Elle
cède la place aux autres lois de la province ou territoire qui touchent déjà aux documents
électroniques. Elle vise à réduire les barrières au commerce électronique mais non pas d'harmoniser
toutes les lois existantes en la matière. Les tractations au sein de la fonction publique auraient duré
trop longtemps….
La Loi uniforme canadienne suit la Loi américaine en sa philosophie de la signature électronique. Elle
dispense du test de la fiabilité de l'article 7 de la Loi type. Si l'on est capable de prouver qu'on a
devant soi une signature telle que définie dans la Loi, la fiabilité n'y ajoute rien. La fiabilité est la
capacité de prouver ce que l'on veut prouver. La présence d'une définition (qui n'est pas présente à la
Loi type) écarte l'utilité de la notion de fiabilité.
La Loi type se retrouve assez clairement dans la plus grande partie du texte canadien. La CHLC a
ajouté une disposition sur la livraison de documents électroniques (il faut que le destinataire soit
capable de les retenir, autrement ils ne sont pas livrés) et sur le fournissage de copies à une seule
adresse (on n'est pas obligé de fournir de multiples copies électroniques.) D'autre part la Loi uniforme
canadienne ne touche pas à l'attribution des documents. Les parties non controversées de la Loi type
vont sans dire. Les parties controversées ont été jugées inacceptables. La loi uniforme a également
laissé tomber comme inutile l'article 14 de la Loi type sur les accusés de réception. Les rédacteurs
devaient décider à quel point une évidence en était une et quand elle méritait sa place pour indiquer au
débutant le bon chemin.
La CHLC a adopté une disposition de la Loi uniforme américaine pour la protection de la personne
naturelle qui s'engage dans une transaction automatisée, où la partie au bout de la ligne est un
ordinateur. L'ordinateur est peu capable de reconnaître un aveu d'erreur de la part de la personne. La
loi uniforme permet à la personne de résilier à un contrat - lorsque le vendeur (qui se sert d'ordinateur)
ne donne pas au client l'occasion de confirmer ou de corriger son achat avant de contracter. C'est une
façon d'encourager les marchands d'offrir des sites web conviviaux qui ne profitent pas des erreurs
typographiques du consommateur.
La Loi uniforme prévoit un statut un peu particulier pour les gouvernements. En premier lieu le
gouvernement est autorisé de se servir de documents électroniques. Il est probable qu'un
gouvernement d'une province n'a pas besoir de cette loi pour posséder ce pouvoir. Les autres corps
étatiques, tels les tribunaux administratifs et les municipalités, auraient plus besoin de se le faire dire.
Le gouvernement a aussi un pouvoir spécial d'imposer des normes relatives aux technologies de
l'information, en ce qui concerne les documents qui arrivent au gouvernement. C'est pour assurer la
compatibilité des documents extérieurs avec les systèmes informatiques en place et aussi la fiabilité
des documents. Le gouvernement reçoit beaucoup de documents des gens avec qui il n'a pas de
contrat, et aussi des gens qui ne soumettent pas volontiers l'information au gouvernement et donc qui
ne mettraient pas d'effort pour s'assurer que le traitement de leurs documents est facile. Parfois le
gouvernement doit poursuivre ceux qui soumettent des documents. Il faut que ces documents soient
de haute qualité.
Enfin la Loi canadienne est la première à adopter la deuxième partie de la Loi type, qui touche au
transport des biens.
Quatre provinces ont présenté des projets de loi basés sur la Loi uniforme. (13) La Saskatchewan a
adopté sa loi en juin 2000, mais la loi n'est pas encore en vigueur. Le Manitoba a donné première
lecture à son projet de loi au même mois, la Colombie-britannique au début de juillet. Enfin l'Ontario
a fini la seconde lecture de son projet de loi 88 sur le commerce électronique. Des audiences
publiques sont prévues au courant de l'été. Les textes des quatre provinces se ressemblent. Le
Manitoba diffère pourtant des autres en deux aspects. D'abord son projet de loi n'établit de normes
pour l'équivalence fonctionnelle que si la disposition de droit qui crée l'exigence est désignée par le
ministre responsible. Cela veut dire que l'effet de la loi sera retardé pour le temps qu'il faut pour la
province de désigner un nombre important de ses lois et règlements. Ensuite le projet de loi
manitobain prévoit des normes de la protection du consommateur dans les transactions sur Internet. Il
n'est pas clair comment la province pourra mettre en vigueur ces dispositions sans désavantager les
marchands au Manitoba. On espère au moins recevoir la collaboration du reste du Canada. (14)
Le Québec a déposé en juin (mois chargé!) un avant-projet de loi sur la normalisation juridiques des
nouvelles technologies de l'information. L'avant-projet de loi se veut une méthode de mettre en
vigueur la Loi type, mais il offre beaucoup plus de détail que la Loi uniforme. Il est neutre en ce qui
concerne la technologie mais il n'est point minimaliste. La fiabilité de documents et de signatures sur
support électronique est de haute importance, et la stabilité du support électronique doit être
démontrée à plusieurs fins juridiques. (15) L'avant-projet prévoit des normes pour les agents de
certification de signatures numériques et établit un système pour créer ces normes et de les harmoniser
avec celles du reste du monde. Il dispose aussi de la responsabilité des intermédiaires des
communications électroniques. Bref il est plus ambitieux que la Loi uniforme et plus directeur. Sur le
plan pratique ces dispositions seraient intéressantes même pour quelqu'un qui suivait la Loi uniforme,
en tant de guide de l'usager.
Une consultation publique est prévue pour la fin de l'été sur l'avant-projet de loi du Québec.
Il faudrait noter un élément de plus de la Loi type. Son article 9 traite de la preuve. La Loi uniforme
canadienne n'y touche pas, parce que la CHLC avait déjà adopté une Loi uniforme sur la preuve
électronique. Cette Loi uniforme est adoptée et en vigueur au niveau fédéral (16) et en Ontario (17) et
devant l'assemblée en Saskatchewan (18) et au Manitoba (19). Le Québec traitait de la preuve
électronique dans le Code civil du Québec en 1994; l'avant-projet de loi y apporte des modifications mineures.
Et la CNUDCI?
La CNUDCI n'attend pas pour voir qui est-ce qui va adopter la Loi type. Son groupe de travail sur le
commerce électronique oeuvre depuis trois ans sur des Règles uniformes sur les signatures
électroniques. Nous avons fait remarquer que la Loi type exige qu'une signature électronique soit
aussi fiable que nécessaire à son usage. Cette règle a le mérite de la flexibilité mais la difficulté de
l'imprévisibilité. Le groupe de travail essaie de décrire une signature électronique qui aurait toujours
le dégré nécessaire de fiabilité pour remplacer une signature manuscrite.
Les règles uniformes comprendront aussi les normes de conduite et de responsabilité des parties à une
signature : le détenteur du dispositif de signature, le fournisseur (éventuel) de services de certification,
et la partie qui cherche à faire confiance à la signature. Enfin le règles établiront des critères pour la
reconnaissance internationale des signatures électroniques et des certificats qui sous-tendent
quelques-unes de ces signatures.
La prochaine réunion du groupe de travail aura lieu à la fin septembre 2000. On s'attend à ce que le
groupe achève son travail à cette réunion, avec l'adoption aussi d'un nouvel Guide de l'incorporation
des règles dans le régime juridique des pays membres. Voilà le sujet d'une conférence future et pas du
présent colloque. (20)
*****
1.
1 Me Gregory a mené l'adoption des lois uniformes canadiennes sur la preuve et sur le commerce
électroniques. Il est membre de la délégation canadienne à la CNUDCI pour son travail sur les
signatures électroniques. L'opinion de l'auteur n'engage que lui-même.
2.
2 L'Internet accepte des messages commerciaux depuis environ 1995. Avant cette date l'EDI se fait
exclusivement au moyen de réseaux privés, en employant les lignes téléphoniques louées par les
entreprises à cette fin. L'usage de la cryptographie permet de créer sur Internet des "réseaux privés
virtuels".
3.
3 Une histoire de l'évolution des travaux de la CNUDCI dans ce domaine paraît à la fin du Guide pour
l`incorporation de la Loi type qui suit la Loi type elle-même. Voir le Guide au paragraphe 123 et
suivant, en ligne à http://www.uncitral.org/french/texts/electcom/ml-ec.htm.
4.
4 Depuis l'acceptation générale des principes de la Loi type, on a suggéré que ces principes soient
exprimés en forme de convention internationale, pour obliger les états contractants de les adopter tels
quels. Voir le document présenté par les États-unis en 1997, en ligne
àhttp://www.uncitral.org/french/sessions/wg_ec/wp-77f.htm. Cet argument n'a pas encore attiré
beaucoup de partisans.
5.
5 On trouve une liste des lois de tous les pays sur la signature électronique, dont les pays qui adoptent
la Loi type, avec hyperliens au texte, au site de l'étude Baker & McKenzie,
http://www.bmck.com/ecommerce .
6.
6 Voir en ligne http://www.law.upenn.edu/bll/ulc/ulc.htm, surout la version finale avec notes du
rapporteur datée de décembre 1999.
7.
7 Les lois américaines sont notées au même site que celles des autres pays. Voir la note 5.
8.
8 'retrievable in perceivable form'
9.
9 En ligne à http://europa.eu.int/comm/internal_market/fr/media/sign/index.htm et à
http://www.ispo.cec.be/ecommerce/
10.
10 Loi No. 2000-230 du 13 mars 2000, en ligne à
http://www.legifrance.gouv.fr/citoyen/jorf_nor.ow?numjo=JUSX9900020L
11.
11 En ligne à http://www.law.ualberta.ca/alsi/ulc/current/fueca-a.htm.
12.
12 L'ancien projet de loi C-6:
http://www.parl.gc.ca/36/2/parlbus/chambus/house/bills/government/C-6/C-6_4/C-6_cover-F.html
13.
13 Les noms et adresses électroniques des projets de loi provinciaux paraissent à la dernière note
ci-dessous.
14.
14 La protection du consommateur est une question d'actualité en commerce électronique. Voir une
étude des problèmes en ligne àhttp://strategis.ic.gc.ca/SSGF/ca01028f.html. Des principes directeurs
dans le domaine ont été produits par un groupe de fonctionnaires, de gens d'affaires et de
consommateurs, en ligne à: http://strategis.ic.gc.ca/ . Le point de vue d'un groupe de pression pour le
consommateur sur la Loi uniforme se retrouve en ligne à: http://www.piac.ca/uecalet.htm.
15.
15 Il faut reconnaître que l'article 15 du projet québécois permet un large rôle aux parties de décider
de la fiabilité d'un "document technologique". Il est question à l'article 16 des normes precrites par
l'état; la disposition ressemble à l'article 1316-4 du Code français.
16.
16 La partie 3 du projet de loi C-6
17.
17 Loi de 1999 visant à réduire les formalités administratives, S.O. 1999 c.12 Sch. B s.7, en vigueur le
30 juin 2000. (http://www.ontla.on.ca/Documents/StatusofLegOUT/b011ra_f.htm.)
18.
18 Bill 34, mai 2000. http://www.legassembly.sk.ca/bills/HTML/bill034.htm .
19.
19 La partie 3 du projet de loi sur le commerce électronique, Bill 31.
20.
20 Voici des documents à lire en attendant le prochain colloque:
Ontario Loi de 2000 sur le commerce électronique (projet de loi 88)
http://www.ontla.on.ca/Documents/StatusofLegOUT/b088_f.htm
Saskatchewan The Electronic Information and Documents Act (Bill 38 - adopté)
http://www.legassembly.sk.ca/bills/HTML/bill038.htm
The Saskatchewan Evidence Amendment Act (Bill 34)
http://www.legassembly.sk.ca/bills/HTML/bill034.htm
Manitoba The Electronic Commerce and Information Act (Bill 31)
http://www.gov.mb.ca/chc/statpub/free/pdf/b31-1s00.pdf
Colombie-britannique Electronic Transactions Act (Bill 32)
http://www.legis.gov.bc.ca/2000/1st_read/gov32-1.htm
Québec Loi sur la normalisation juridique des nouvelles technologies de l'information
http://www.assnat.qc.ca/fra/publications/av-projets/00-fap01.htm
Canada Personal Information Protection and Electronic Documents Act (anciennement le projet de
loi C-6)
http://www.parl.gc.ca/36/2/parlbus/chambus/house/bills/government/C-6/C-6_4/C-6_cover-F.html
(l'adresse doit être sur une seule ligne)
Conférence pour l'harmonisation des lois du Canada
Loi uniforme sur le commerce électronique
http://www.law.ualberta.ca/alri/ulc/current/fueca-a.htm
Loi uniforme sur la preuve électronique
http://www.law.ualberta.ca/alri/ulc/findex.htm
Les États-unis
Electronic Signatures in Global and National Commerce Act (E-Sign)
http://thomas.loc.gov/ - chercher S.761.ENR au 106e Congress
Uniform Electronic Transactions Act (version de décembre 1999 avec notes)
http://www.law.upenn.edu/bll/ulc/uecicta/eta1299.htm
CNUDCI
La Loi type de la CNUDCI sur le commerce électronique
http://www.uncitral.org/french/texts/electcom/ m l-ec.htm
Projet de règles uniformes sur la signature électronique
http://www.uncitral.org/french/sessions/unc/unc-33/acn9-467.pdf
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